Pédagogies de l’échec – 24-10-2021

Franck Duarte et Caroline Marchetti
Écrit et mis en scène par Pierre Notte.
Avec Franck Duarte et Caroline Marchetti.

Texte et photos Philippe Barailla.

Pédagogies de l'échec

« Tous les systèmes ont quelque chose de dingue, non ? »
Cette excellente question figure en petites lettres au bas de l’affiche de la pièce de Pierre Notte, un peu comme les clauses inavouables d’un contrat d’assurance. C’est en effet le sens à peine caché de cette comédie très réussie mettant en scène deux personnages caricaturaux, robots aveuglés par leur absolue fidélité au système. Une pièce très drôle mais capable de tirer des yeux une petite larme de temps en temps.
Les deux personnages, une femme cadre, autoritaire et susceptible, et son secrétaire soumis et consciencieux, évoluent sur les étroits vestiges de leur septième étage, suspendu dans le vide après un terrible cataclysme dont la nature n’est pas précisée.
Ils ne réalisent que peu à peu la précarité de leur situation, se découvrant finalement de toutes parts entourés de « trous », leurs outils de travail, bureaux, dossiers, etc., ayant par gravité migré aux étages inférieurs. Par exemple, le coin repos avec sa cafetière se trouve au niveau du secrétariat des ressources humaines…
Qu’à cela ne tienne ; tels des fourmis dans une fourmilière défoncée par un troupeau de tamanoirs, ils continuent comme si de rien n’était à effectuer leurs tâches quotidiennes, sans même s’apercevoir qu’elles sont devenues inutiles. Leurs préoccupations sont fortement décalées par rapport à la réalité : ils se reprochent leurs petites manies (elle suçotte le bout de son stylo en conseil d’administration), leurs vacheries (le ficus jeté par-dessus bord pour récupérer le pot) et cherchent désespérément, malgré leur dénuement, à finaliser le dossier Delamain, un dossier grand et rose qu’il faut à tout prix parapher. Leurs échanges verbaux restent professionnels, administratifs et hiérarchisés, dans une magnifique indifférence au monde extérieur.
De temps à autre survient toutefois un questionnement : de quelle façon sommes-nous seuls ? Leurs collègues ont-ils été avertis et ont-ils quitté les lieux, ou bien sont-ils ensevelis sous les décombres ? Mais le trivial et le quotidien reprennent toujours le dessus.
Les étages 8 et 6 se fissurent. Pour autant, les deux employés modèles ne lâchent pas prise. Sur leurs ruines de plus en plus ténues, funambules opiniâtres, ces deux marionnettes hyper programmées sont devenues incapables de réagir à l’effondrement du système qui les a avalées, et vont certainement mourir avec lui. Ils prennent congé l’un de l’autre.
« A lundi pour une nouvelle journée de travail ».
« Ah oui, c’est vrai, nous sommes vendredi ! »
Ils s’allongent sur ce qui reste de leur monde, et s’endorment tout doucement.
N.B. : Les deux interprètes sont remarquables de sérieux et d’implication, tenant le spectateur en haleine jusqu’au bout de leur cheminement vers l’absurde.
Bravo à eux !