J’aurais voulu être Jeff Bezos

Écriture et mise en scène : Arthur Viadieu
Scénographie : Lucie Meyer
Avec Roma Blanchard, Chloe Chycki, Claire Olier, Bob Levasseur et Mathias Minne
Musique : Antoine Mermet
Lumières : Maxime Charrier

Production/diffusion : Carole Benhamou

Impressions : Philippe Barailla
Photos : JYL

J'aurais voulu être Jeff Bezos

J'aurais voulu être Jeff Bezos

Sous ce titre dévoyé du « Blues du Businessman » (que Luc Plamondon et Michel Berger n’auraient certainement pas retenu), le créateur et ex-PDG d’Amazon est sur la sellette, ce soir, sur la scène de la rue des Frères Gambon.
Ci-devant homme le plus riche du monde, aujourd’hui dépassé par Bernard Arnault et quelques autres collectionneurs de milliards, Jeffrey Jorgensen, dit Jeff Bezos, passe en jugement, entre défenseurs convaincus et témoins à charge.
C’est que cet homme n’est pas n’importe qui : parti de presque rien, il a prévu les évolutions et révolutions qui allaient secouer nos habitudes d’achat, soumises à la dictature du déplacement et de la fréquentation des magasins. Le distanciel est l’avenir de l’homme : le travail, l’éducation, la médecine l’ont adopté, alors pourquoi pas la consommation ?
Mais l’empire qu’il a construit finit par ressembler de plus en plus à un régime totalitaire : sous couvert d’un « amour » inconditionnel pour ses clients, pour satisfaire immédiatement leurs moindres désirs, il les espionne, les scanne, il a besoin de connaitre leurs habitudes, leurs passions, leurs faiblesses – leur compte en banque l’intéresse également. Cet homme crée des services qui leur deviennent peu à peu indispensables, mais au prix, pour ses clients d’un asservissement qui les rend dépendants, et pour ses salariés d’une discipline intenable et d’un paternalisme de surface, en réalité sans pardon ni pitié.
La pièce d’Arthur Viadieu est très travaillée, c’est une oeuvre à multiples facettes ; c’est une sorte de thriller gentil, ce qui le rend d’autant plus inquiétant. Elle se décompose en plusieurs tableaux bien distincts, par le style d’écriture, la répartition des rôles, l’atmosphère comique ou tragique. La première scène est en alexandrins, débat argumenté très inspiré du théâtre de Molière ; la particularité des scènes suivantes est qu’à chaque fois elles redistribuent les rôles entre les divers acteurs. Jeff Bezos est multiple, caméléon intrusif qui se cache sous de nombreuses apparences : on ne le reconnaît pas tout de suite, mais il est toujours là. La mise en scène, riche et complexe, tantôt spectacle de clown, chorégraphie faussement joyeuse, scènes d’un comique absurde, enfin monologue poignant imprégné de détresses personnelles et de cruelles désillusions.

Les acteurs sont excellents, leur jeu expressif et plein d’énergie tient en haleine de bout en bout, on est très souvent obligé de rire malgré le malaise sous-jacent. Le public cosnois, pas toujours facile, a adhéré à ce spectacle riche et original, certainement promis à un beau succès lors de ses prochaines représentations au Théâtre de Belleville à Paris, à partir du 3 février prochain.