L’Homme assis

Orin Camus - L'homme assis - Garage Théâtre - Photo Patrice Vatan
Conception : Chloé Hernandez, Orin Camus
Interprétation : Orin Camus
Création lumières : Sylvie Debare

Création Vidéo : Orin Camuscrédit 

Photos : Philippe Barailla et Patrice Vatan
Vidéo: Philippe Barailla 

L'Homme assis

Impressions par Philippe Barailla

Nous assistons ce soir à une prestation chorégraphique du danseur Orin Camus, de la compagnie Yma qu’il a créée avec Chloé Hernandez ; tous deux ont suivi la formation du Conservatoire de Toulouse et du Centre National de Danse Contemporaine d’Angers.
Il n’aura échappé à personne que l’homme est un animal vertical : des centaines de siècles de tentatives lui ont permis de gagner enfin la bataille contre la quadrupédie, qu’il a abandonnée sans regrets pour sillonner la savane à grandes enjambées. C’était sans compter sur le rétrogradage amorcé aux Temps Modernes et qui atteint son paroxysme au XXIe siècle : à savoir la tyrannie de la position assise.
Orin Camus et Chloé Hernandez en ont fait le prétexte de leur spectacle, qui pourrait s’intituler « Danse avec les mains ». Vissé à sa chaise devant une table où l’attend un tas impressionnant de feuilles de papier (bureaucrate débordé ou écrivain en panne d’inspiration ?), l’homme exprime son malaise : un danseur n’est pas fait pour rester assis. Il contourne le problème en jouant de ses mains sur la table-piste de danse. Un travail d’une grande précision magnifié par un éclairage virtuose où les taches de couleurs et les flashes de lumière crue dramatisent les gestes incoercibles du danseur ; cet enchevêtrement de bras et de mains suit une musique trip-hop des plus inquiétantes parfois habitée de voix fantomatiques. Mais le reste de son corps rêve de mobilité, celle-ci s’exprime comme elle peut, dans de petits gestes répétitifs, tics nerveux et soubresauts du visage, des jambes.
Peu à peu, douloureusement, parvenant tout de même à s’affranchir de son siège-prison, il suit le même chemin que ses ancêtres descendus des arbres et retrouve la position debout, dans un délire victorieux où tout vole en éclats : la chaise vaincue est remisée dans un coin, les papiers s’envolent dans les cintres pour retomber en neige bienfaisante. Manifestement, le travail de bureau attendra.

Impressions par Patrice Vatan

Un papier sur l’épaule
L’attention du public s’arrime à la feuille de papier que la sueur a collée sur l’épaule de l’homme, après qu’une autre s’est attachée à son bras, lui faisant comme un masque qu’on portait il y a peu en brassard.
Alors se pose la question du contrôle, du hasard, de l’impondérable jouant sa partition au sein de cet ensemble chorégraphique réglé au lux, au décibel, au centimètre près.
Et le gros insecte volant qui a survolé l’homme assis tout à l’heure, piégeant en douce la pensée publique, était-il « casté » ou non ?
Une table, une montagne de papier, une chaise où s’assied l’homme, l’homme assis, rassis depuis que, ex-chasseur-cueilleur, il chasse en supermarché, cueille les promos. Il ne s’appartient plus, s’agite au son de la musique sérielle, se désagrège en pantin mécanique sous les rais d’une lumière chirurgicale, laser qui colore de bleu, de vert, de rouge les feuilles de ce papier maudit de fonctionnaire totalitaire qu’il roule en boule entre ses doigts.
Envoûtante, hypnotique, la création un brin dérangeante de Chloé Hernandez et Orin Camus (c’est lui sur scène) convoque par instants la sculpture hyperréaliste – est-ce un corps, est-ce vivant ?
L’homme assis se lève en pensée, ventile par brassées la rame qui explose en bouquet final sur la scène du Garage Théâtre. Il s’y roule en boule.
Alors l’attention du public se focalise sur la feuille de papier que la sueur à collée sur l’épaule de l’homme.