Les chants anonymes

Mise en scène Elisabeth Marie, en co-construction avec l’équipe ;
Actrices : Selin Altiparmak, Françoise Lepoix, Elisabeth Marie
Musique et sons : Cyril Alata


Photos Philippe Barailla et Patrice Vatan

Les chants anonymes
18-01-2025

Impressions Philippe Barailla

« Les Chants Anonymes », donnés hier soir au Garage Théâtre par la compagnie Scarface, est une œuvre de Philippe Malone, artiste qui se définit comme photographe (le jour) et écrivain (la nuit). Longue succession d’images tragiques parfois abstraites, cette œuvre littéraire très visuelle est un enchaînement de photographies terrifiantes, un reportage sans complaisance sur le sort des migrants de Méditerranée.

Le terme de « chant » n’est pas ici à prendre dans l’acception commune de texte mis en musique ; celle-ci est présente, jouée au synthétiseur et au piano par Cyril Alata, mais elle fait bande à part : les trois actrices ne chantent pas mais parlent, déroulent verbalement un long poème sur les aléas de la grande traversée. On pense plutôt aux chansons de geste, ces textes épiques qui racontent les hauts faits de héros à la vie édifiante suivie d’une mort pleine de sens. Les héros de cette œuvre-là se sont lancés dans une quête désespérée, un périple hasardeux loin de leurs rivages africains pour la promesse supposée d’un paradis européen.
Les migrants du XXIe siècle sont des précurseurs sacrifiés : dans 650 000 ans, la dérive des continents et l’assèchement de la mer Méditerranée auront transformé cette terrible épreuve en partie de plaisir. En attendant, de nombreux corps épousent la mer en un mariage sensuel et mortel, et ceux qui arrivent à bon port perdent leur identité, leurs souvenirs, leur langage, face à des règlements qui leur sont complètement incompréhensibles. Si les morts sombrent dans l’oubli, les vivants font bien pire aux yeux de la société : ils pourraient menacer la sécurité et l’attractivité économique des lieux où ils s’échouent.
Le ballet aquatique de ces milliers de rêveurs anonymes se déroule sur la scène, lancinant, scandé par le rythme quasi musical d’une prose colorée qui habille de sa beauté la noirceur d’une réalité impitoyable.
 
Impressions Patrice Vatan
 
Les sorties de résidence du Garage Théâtre sont comme ces colis perdus et vendus à l’aveugle, la surprise est au déballage, à la différence près que le sancerre et le coteau du giennois y assurent une fin triomphante.
Hier soir la compagnie Scarface a mis l’eau avant le vin, l’eau de la Méditerranée dont les mots/maux irriguent Les Chants anonymes, pièce de Philippe Malone donnée sur scène par trois comédiennes et un acteur, Selin Selin Altıparmak, Françoise Lepoix, Elisabeth Marie (qui assure la mise en scène aussi) et Cyril Alata.
À la fois écrivain et photographe, Philippe Malone paraît un enfant naturel de Kafka, Orwell et Godard quand on prend dans la figure ses Chants anonymes, vaste poème symphonique rendant leur dignité aux damnés de la Terre, aux opprimés des diktats administratifs, à ceux dont les barcasses s’échouent sur les rivages, contraignant l’estivant allemand, le touriste hollandais à replier sa serviette de plage.
Sans que rien ne soit précisé, tout est dit dans une langue flamboyante, une écriture étincelante que l’auteur – aussi photographe, on l’a vu – rend graphique.
Ce maelstrom poétique, où l’absurde côtoie un humour dérisoire, emporte tout, y compris les réticences cartésiennes que d’aucuns purent exprimer une fois la pression retombée et le sancerre débouché.
La compagnie Scarface présente,
Les chants anonymes de Philippe Malone
(Éditions espaces 34, texte lauréat Artcena 2020, Lauréat des Journées de Lyon des auteurs de Théâtre 2022, prix Jean-Jacques Lerrant.)