Le Journal La Terrasse

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Brûle Narcisse (Mon destin sans nuage) d’Adrien Michaux et Lou Wenzel donne à voir les errances de l’artiste glorifié

Brûle Narcisse (Mon destin sans nuage) d’Adrien Michaux et Lou Wenzel donne à voir les errances de l’artiste glorifié - Critique sortie Théâtre Alfortville Théâtre studio Alfortville

Narcisse est une star, une icône, chanteur d’un des plus grands groupes du monde. Jadis adulé par les foules, l’artiste est maintenant reclus dans son appartement, seul. Le monologue écrit et joué par Adrien Michaux saisit cet état de l’artiste au repos, ruminant gloire passée teintée d’égocentrisme aveugle et destin autodestructeur.

Trois miroirs, un micro et des exemplaires de Rolling Stones éparpillés sur le plateau. Narcisse est de dos, dans une posture de statue grecque (!). Torse nu, il fait rouler ses muscles dorsaux, saillants. Cheveux gominés, pantalon en denim noir enduit taille basse, la star s’avance vers le micro, tandis que la speakerine chauffe la salle, accueillant le groupe de rock, pour trois heures de show transpirant. Et il raconte : “Je parle de notre gloire / du temps où nous étions des dieux…” Soudain les lumières (une belle création de Thierry Pilleul, servant parfaitement le texte) se font moins violentes pour ramener l’artiste chez lui, seul, lucide, où débute une réflexion sur cette existence menée entre alcool, filles, une enfant qu’il n’a presque jamais vu, et une mère qui se défenestre, alors qu’il est en plein concert.

“La vie est une course, et c’est moi qui gagne”

Déconnecté du monde, de la temporalité du commun des mortels – combien de temps dure la nuit ? -, Narcisse s’enfonce alors dans la réflexion un peu usée de l’artiste désabusé. Feignant la nostalgie, l’heure est au questionnement, après la proposition de son guitariste de remonter sur scène pour une ultime date. Le jeu d’Adrien Michaux donne chair au texte avec une belle présence, en alternant entre les deux énergies du texte, passant de l’état de la toute-puissance passée à celui de l’isolement présent avec une grande efficacité. Et si le public ne l’aime plus ? Et s’il ne se souvient pas de lui ? Et s’il ne savait plus chanter ? Jusqu’à la fin le suspense reste entier : remontera-t-il sur scène ? Piégé par le succès, piégé par ses collègues de scène, Narcisse lutte. La mise en scène de Lou Wenzel met en lumière les deux visages de l’homme fatigué avec efficacité, et convoque un imaginaire d’habitude fantasmé, dont on ne montre ici que la part d’ombre.

Louise Chevillard